Happy birthday Youcef
C’est l’heure à laquelle les estivants remontent de la plage pour se préparer pour la soirée. Ils troquent leurs maillots de bain contre des tenues un peu plus habillées mais pas trop tout de même. Ils ont à cœur de montrer le bronzage qu’il ont acquis difficilement, et au prix de longues heures sur la serviette, à faire la crêpe, une heure face, une heure pile. On se tourne et on se retourne en s’appliquant de généreuses couches de gras destinées à ne pas brûler.
Pendant qu’ils se dirigent tous vers l’apéro et les restaurants de la promenade maritime de cette station balnéaire espagnole, un petit groupe s’approche et prend place sur la plate-forme aménagée sur la crique et à présent déserte. Ce sont des femmes et des enfants. Les femmes s’affairent comme des abeilles et en un temps record ont installé une arche de ballons violets et un gigantesque ballon gonflable portant le chiffre 5. Sur la table des gobelets, des sachets de bonbons et un magnifique gâteau d’anniversaire de type layer cake, trônent. Elles ont calculé l’heure à laquelle elles devaient venir afin que le gâteau ne s’écroule pas sous l’effet de la chaleur. Le petit Youcef dont c’est l’anniversaire aujourd’hui s’est caché le temps que tout soit prêt. Lorsque sa mère lui permet de s’approcher de la table, il arbore un large sourire. Il est heureux, il a enfin eu sa fête d’anniversaire, tout comme ses petits camarades espagnols qui se vantent constamment de leurs fêtes. Les parents de Youcef sont à cheval sur leurs principes…culturels et religieux. Ils ne veulent pas les perdre ni perdre leur identité, puis leurs enfants. Depuis dix ans qu’ils ont quitté le Maroc pour l’Espagne, ils se sont progressivement adaptés à leur pays d’accueil mais sans jamais se mêler aux Espagnols. Ils ne sont pas comme eux, ils n’ont pas les mêmes manières, la même culture, la même religion. Ils ne se comprennent pas. Et ces histoires de fêtes d’anniversaire, ce n’est pas pour eux…en temps normal. Mais voilà, Youcef a tellement insisté, trépigné, pleuré, puis il a demandé des explications à ses parents, enfin surtout à sa mère parce que son père lui, il ne s’embarrasse pas avec tout cela. Son « non » ne tolère aucune question.
Sa mère a fini par céder, sans le dire au père, et avec la complicité de ses copines du village, elle a organisé la petite fête au bord de la crique. Elles sont solidaires dans ce village, elles viennent toutes de la même zone géographique dans les hautes montagnes de l’atlas. Elles subissent toutes les mêmes regards sur leurs tenues préservant leur pudeur, la même discrimination dans la société. Mais aujourd’hui c’est l’anniversaire du petit Youcef et elle se sont toutes mises d’accord pour que la fête soit une réussite. Après tout il n’y a aucunement l’intention de donner une connotation païenne à cette petite réunion, et n’est-ce pas l’intention qui prime ? Et l’intention est de faire plaisir à un petit garçon.
Youcef soufflera ses bougies sous les regards émerveillés des autres enfants et sous les sourires attendris des mamans. Au bout de quelques bouchées de gâteau, les enfants se précipiteront à l’eau heureux de pouvoir enfin s’y baigner. A cette heure tardive ils y sont seuls, vite rejoints par les mamans bien couvertes. Ils ne seront pas choqués par le manque de tenue et de tenues des estivants, c’est l’essentiel.
Les quelques passants de la promenade regarderont avec étonnement ce petit groupe qui s’amuse et qui saute dans les vagues, devant la table où les restes de gâteau fondent lentement.
Espagne - 15 août 2023.
Sam Kamat